«J’ai vu Indo­chine au Stade de France. — Et moi à Saint Lau­rent-de-Cuves. » C’est le genre de dis­cus­sion qu’on pour­rait enten­dre en mai 2016. De mars à octo­bre, les fes­ti­vals parvi­en­nent à faire venir des stars jusque dans la France la plus pro­fonde. Pour financer les dizaines de mil­liers d’euros de cachets et de coûts tech­niques, les organ­isa­teurs s’adaptent dans des envi­ron­nements peu prop­ices à une activ­ité économique intense. Pam­pa­m­ag vous présente trois mod­èles de ges­tion et de finance­ment viables qui font danser des dizaines de mil­liers de festivaliers.

 

Inter’val : les élus à la manoeuvre 

Michel Delpech, Alain Sou­chon, Thomas Dutronc, Michael Gre­go­rio, mille chais­es dis­posées sur des courts de ten­nis cou­verts et trans­for­més. Une scène pour l’occasion. Le fes­ti­val Inter’val est organ­isé tous les automnes depuis 2003 par la Com­mu­nauté de com­munes des val­lons du Lyon­nais (CCVL), dans huit bourgs situés à une quin­zaine de kilo­mètres de Lyon (Rhône). Avec ses collines entremêlées, ses verg­ers, ses coteaux de vignes, la région offre des vues mag­nifiques. Mais ce n’est pas ce qui pousse les artistes à s’y produire.

Je leur fais un gros chèque et ils vien­nent. Plus sérieuse­ment, ils ne nous font pas un prix spé­cial. Bernard Ser­vanin, vice-prési­dent de la CCVL en charge de la cul­ture et directeur de l’évènement

« Ils jouent leur presta­tion cal­i­brée pour les petites salles, leur show acous­tique. Ils ne vien­nent pas avec vingt musi­ciens et danseurs pour notre petite scène », explique-t-il. Il faut compter de 20 000 € à 35 000 € pour cha­cune des deux ou trois têtes d’affiche tous les ans.

« Cela fait 90 000€ de cachets d’artistes », résume Bernard Ser­vanin. Les coûts ne s’ar­rê­tent évidem­ment pas là. « Le reste des frais est pris en charge par la CCVL : 10 000 € de bud­get de com­mu­ni­ca­tion, et 60 000 € d’installation tech­nique et de trans­for­ma­tion des courts de ten­nis. », égrène le directeur. 35 élus ou anciens élus assurent le fonc­tion­nement du site. Ces coûts sont inté­grale­ment cou­verts par les entrées.

Pas de financement privé

Le fes­ti­val ne jouit d’aucun finance­ment privé. « Nous sommes une col­lec­tiv­ité, rap­pelle Daniel Mal­osse, le prési­dent de la CCVL. Sur le plan déon­tologique, ce ne serait pas très con­fort­able d’avoir des entre­pris­es mécènes, sus­cep­ti­ble de répon­dre aus­si à nos appels d’offre. »

Mais les têtes d’affiche ne sont pas les seules à faire le spec­ta­cle. « En plus d’offrir des artistes de renom­mée nationale à nos conci­toyens, nous voulions aus­si à l’origine pro­pos­er une scène à des asso­ci­a­tions locales », se sou­vient Daniel Mal­osse. En dehors des courts de ten­nis, des man­i­fes­ta­tions ont lieu dans une quin­zaine de lieux comme à l’église de Grézieux-la-Varenne où se tien­dra un con­cert de car­il­lons. Les asso­ci­a­tions gèrent seules leurs pro­pres spectacles.

« Nous organ­isons aus­si des événe­ments pour les sco­laires, ajoute Bernard Ser­vanin. L’année dernière, on leur a décerné le coup de cœur du festival. »

*Inter’val — du 2 sep­tem­bre au 2 octo­bre 2016 — Huit villes de la Com­mu­nauté de com­munes des val­lons du Lyon­nais (CCVL)  — Env­i­ron 30 euros pour une tête d’af­fiche, 10 euros pour les spec­ta­cles associatifs

Papillons de nuit : le plus gros dans la plus petite ville

C’est l’histoire d’une bande de copains qui jouait dans la salle des fêtes de Saint-Lau­rent-de-Cuves (Manche), à mi-chemin entre Rennes et Caen, à la fin des années 1990. En 2001, ils ont com­mencé à voir plus grand. En 2016, Michel Polnar­eff, Louise Attaque, Indo­chine, Nek­feu ren­dront vis­ite aux 480 habi­tants de la bour­gade et aux 1300 bénév­oles et 70 000 spec­ta­teurs de Papil­lon de Nuit.

Trois mil­lions d’euros de bud­get. Un savant mélange. Le finance­ment provient à 60% de la bil­let­terie, à 20% des recettes du bar et des restau­rants. Le privé représente, lui, entre 15% et 20%. « Nous avons 180 entre­pris­es parte­naires, com­mente Pierre-Olivi­er Made­laine. Mais ils n’ont aucun droit d’ingérence dans l’organisation. » S’a­joutent enfin plus 50 000 € de subventions.

Pour pou­voir suiv­re au mieux les 130 000 trans­ac­tions durant trois jours et faciliter la vie des fes­ti­va­liers, l’organisation a mis en place en 2015 un sys­tème de paiement dématéri­al­isé. Cha­cun pos­sède un bracelet et les stands un ter­mi­nal. « On con­nait le panier moyen des fes­ti­va­liers de manière pré­cise, se réjouit Pierre-Olivi­er Made­laine. Et on sait aus­si où faire des économies. »

200 000 € pour David Guetta

Le plus gros poste de dépense reste néan­moins la musique. « Nous con­sacrons un mil­lion d’euros aux cachets d’artistes. Cer­tains coû­tent jusqu’à 200 000 €, mais on sait qu’ils vont nous ramen­er un pub­lic en con­séquence, comme David Guet­ta il y a deux ans. Mais c’est de plus en plus dur, les frais ont beau­coup aug­men­té ces dernières années. » 

Même si l’argent reste cen­tral, la déci­sion pour un artiste de venir jouer est étroite­ment liée à la rela­tion entre le pro­duc­teur et l’organisateur. A la marge, des critères éthiques peu­vent jouer. « Si tout l’argent d’un fes­ti­val provient d’entreprises comme McDonald’s, nous serons prob­a­ble­ment moins intéressés pour y jouer », résume Math­ias, le chanteur du trio de rock hol­landais Bombay.

Les autres engage­ments moraux fonc­tion­nent seule­ment si le fes­ti­val sort du lot, car comme le dit N’Dieri Ba, chargé de pro­duc­tion du groupe Boule­vard des airs : « Je pense que l’ensem­ble des fes­ti­vals exis­tants répon­dent ou ten­tent de répon­dre à un objec­tif social et/ou environnemental. »

*Papil­lons de nuit- 20, 21, 22 mai 2016 — Saint-Lau­rent-de-Cuves (Manche) — 45 euros par jour ( pass trois jours épuisés)

No logo: ” C’est vous qui décidez ! ” 

No logo. Pas de mar­que. Pas de spon­sor. Pas d’argent privé. Pas même de fonds publics. Et pour­tant, en 2015, le fes­ti­val No logo a rassem­blé 30 000 per­son­nes dans la petite bour­gade de Fraisans (1100 habi­tants), dans le Jura, à une demi-heure de route de Besançon. Des jeunes artistes promet­teurs comme le Jamaï­cain Pro­to­je et le Tourangeau Biga Ranx y ont côtoyé des fig­ures respec­tées : Bun­ny Wail­er, l’ami et musi­cien de Bob Mar­ley, et Alpha Blondy, le par­rain de l’évènement.

Cette année, les organ­isa­teurs visent 36 000 per­son­nes sur trois jours dans le site des Forges. Cette anci­enne usine métal­lurgique ‑d’où est notam­ment sor­tie la char­p­ente de la gare de Lyon à Paris — entourée par 7000m² de pelous­es offre un cadre hors du temps aux sonorités reg­gae du fes­ti­val. Sans être pol­luée par la moin­dre ban­de­role publicitaire.

On a juste dit [aux gens], c’est vous qui décidez, on vous pro­pose quelque chose d’indépendant. On a mon­tré que c’était pos­si­ble d’organiser un fes­ti­val sans sub­ven­tion et sans spon­sor­ing, en met­tant l’accent sur le développe­ment économique local. Flo­rent San­seigne, un des deux fondateurs

Le bud­get atteint 700 000€, dont un tiers va aux cachets d’artistes. Les revenus éma­nent des entrées, du bar et des rede­vances payées par les restau­ra­teurs sur le site. « Heureuse­ment, les Francs-Com­tois boivent beau­coup ! », s’a­muse Flo­rent San­seigne. Une bière spé­ciale est brassée pour l’occasion à Blet­ter­ans, dans le Jura, à la brasserie Rouget de Lisle. Elle seule abreuve les gorges desséchées par l’été.

« Qu’on ne voit pas de grande ban­de­role Coca-Cola, ça me con­vient très bien », assure le maire Chris­t­ian Girod. Je respecte beau­coup. Ils font tra­vailler les jeunes de la com­mune, les asso­ci­a­tions, les com­merçants. Ils payent tout le monde. »

Pas de bénévoles, tout le monde est payé

Car il n’y a pas de bénév­oles à No logo, alors que l’écrasante majorité des fes­ti­vals en France jouit de batail­lons de volon­taires prêts à offrir leur temps. « Je vois qu’il y a des aspects très posi­tifs [à rémunér­er tout le monde]. Ils sont impliqués dans le tra­vail. Ils ne prof­i­tent pas du tout des con­certs mais ils le savent. Nous organ­isons une fête un mois plus tard pour eux. Ça les motive pour revenir. »

Dans une moin­dre mesure que les employés, tous les fes­ti­va­liers sont impliqués. « Nous avons lancé une enquête sur une base de 15 000 per­son­nes, explique Flo­rent San­seigne. Aujourd’hui, nous en sommes à 2000 répons­es avec une moyenne de neuf min­utes passées par ques­tion­naire. On essaye d’être proche des gens. » 

Les votes ont par­lé. Cette année, Dami­an Mar­ley, Dub Inc et Alborosie fer­ont trem­bler les anciens hauts fourneaux de Fraisans.

*No logo: ” C’est vous qui décidez ! ” — 12, 13 et 14 août 2016 — Fraisans (Jura) — 50 euros les trois jours